Le droit de préemption du locataire lors d’une vente en bloc (article
10-1 de la loi du 31 décembre 1975)
Le droit de préemption du locataire, prévu par l’article 10-1 de la loi du 31 décembre 1975, vise à protéger les occupants d’immeubles d’habitation contre les ventes spéculatives dites « à la découpe ». Il s’exerce en cas de vente en bloc de l’immeuble.
Ce mécanisme complète deux autres droits de préemption locative : celui du congé pour vendre (article 15, II de la loi du 6 juillet 1989) et celui de la vente par lots (article 10 de la loi du 31 décembre 1975).
Conçu comme un outil de stabilisation du parc locatif, le droit de préemption en bloc a une forte portée pratique pour le notaire, dont la mission consiste à purger correctement ce droit, à vérifier les conditions d’application et à garantir la validité de la vente.
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ToggleQu’est-ce que la vente en bloc ?
La vente en bloc se définit comme la cession, en une seule fois et dans son intégralité, d’un immeuble à usage d’habitation ou mixte, sans qu’il soit encore divisé en lots de copropriété.
Elle se distingue de la vente à la découpe, qui suppose une division préalable :
- dans la vente en bloc, l’acquéreur achète l’immeuble entier, souvent pour le diviser ensuite ;
- dans la vente à la découpe, chaque lot est vendu séparément.
Le législateur a expressément visé « la vente dans sa totalité et en une seule fois » afin d’exclure du dispositif toute vente partielle, groupée ou portant sur plusieurs immeubles distincts.
Le texte vise donc la cession unique de la propriété complète du bâtiment (y compris les dépendances et accessoires loués), qu’il s’agisse d’une vente immobilière classique ou de la cession de la totalité des parts d’une société d’attribution conférant la jouissance à temps plein de chaque logement (art. 10-1, II, al. 1).
💡 Intérêt pratique de la vente en bloc : la vente en bloc correspond à une vente de gros, où le prix global de l’immeuble est inférieur à la somme des prix des lots après division. Le locataire, en exerçant son droit de préemption, peut ainsi acheter à des conditions souvent plus favorables que sur le marché. En d’autres termes, ce droit constitue un outil anti-spéculatif.
Quand s’applique le droit de préemption du locataire en cas de vente en bloc ?
1. Conditions positives :
Pour que le droit de préemption des locataires s’applique, plusieurs éléments cumulatifs doivent être réunis en application des dispositions de l’article 10-1 de la loi du 31 décembre 1975 :
- Un immeuble à usage d’habitation ou mixte, excluant les immeubles exclusivement commerciaux, quels que soient les baux en cours (nus ou meublés, soumis ou non à la loi du 6 juillet 1989) ;
- Un nombre de logements supérieur à cinq, depuis la loi dite ALUR qui a modifié l’article 10-1 en ce sens. Avant cela, le seuil de déclenchement du droit de préemption était fixé à plus de 10 logements.
- Des locataires en place, personnes physiques et titulaires d’un bail en cours ou d’un droit au maintien dans les lieux sur un local à usage d’habitation ou mixte ;
- Une vente totale et unique à un même acquéreur.
À ces conditions cumulatives s’ajoutent des conditions dites négatives, qui ont pour objet de limiter le champ d’application du droit et d’exclure certaines ventes du dispositif.
2. Conditions négatives : l’engagement de prorogation
Le droit ne s’applique pas si l’acquéreur s’engage, dans l’acte de vente, à maintenir les baux existants pendant 6 ans à compter de la signature de l’acte authentique de vente.
Cet engagement doit :
- être formalisé par écrit dans l’acte notarié ;
- et énumérer nominativement les locataires concernés, que ce soit dans l’acte authentique lui-même ou en annexe.
⚖️ Jurisprudence : la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait annulé la vente pour violation de l’article 10-1, estimant à tort que l’acte authentique devait contenir la liste nominative des locataires concernés. La Haute juridiction a jugé suffisant que cette liste soit annexée à l’acte, dès lors que l’engagement de prorogation des baux en cours y renvoyait expressément (Cass. 3e civ., 12 nov. 2015, n° 14-25.129).
À défaut d’un tel engagement, le droit de préemption est automatiquement ouvert au profit des locataires.
💡Bon à savoir : le non-respect de cette obligation de prorogation rend nul de plein droit tout congé délivré avant l’expiration du délai de six ans (Loi du 6 juillet 1989 n° 89-462, art. 15, II).
Quand le droit de préemption du locataire ne s’applique-t-il pas ?
Le droit de préemption est écarté dans trois hypothèses principales selon les dispositions de l’article 10-1, II de la loi du 31 décembre 1975 :
- Vente entre parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus ; qu’il s’agisse de la vente d’un immeuble ou de la cession de parts ou d’actions représentative de cet immeuble.
- Cession à un organisme HLM, ou gérant de logements conventionnés ouvrant droit à l’APL, ainsi qu’à une société d’économie mixte.
- Exercice d’un droit de préemption public (communal ou autre, art. L. 210-1 et suivant du code de l’urbanisme).
💡Bon à savoir : dans chacune de ces situations, le notaire doit en justifier expressément au dossier, notamment par la production d’un extrait Kbis, des statuts de l’acquéreur ou d’un acte d’état civil prouvant le lien familial.
Quand et comment purger le droit de préemption du locataire ?
La purge du droit de préemption correspond à l’ensemble des formalités permettant d’assurer que le locataire a été mis en mesure d’exercer son droit d’acquérir le logement avant la vente à un tiers. Elle constitue une étape préalable et obligatoire à la régularisation de l’acte authentique de vente.
1. La notification de l’offre de vente
Le bailleur (ou son mandataire) doit notifier à chaque locataire ou occupants de bonne foi, par lettre recommandée avec accusé de réception ou acte de commissaire de justice, une offre de vente préalable valant offre ferme.
En présence de plusieurs locataires ou occupants, le bailleur doit procéder à une notification distincte pour chacun d’eux. Toutefois, lorsque les locataires sont mariés, cette double notification n’est requise que si le bailleur a connaissance de leur mariage.
Cette notification doit contenir :
- le prix global de l’immeuble et le prix du logement occupé ;
- les conditions de la vente ;
- la reproduction intégrale de l’article 10-1, I, A de la loi n°75-1351 du 31 décembre 1975.
Cette offre doit également être accompagnée des annexes suivantes :
- un projet de règlement de copropriété, car la préemption d’un seul logement entraînera la création d’une copropriété ;
- un diagnostic technique sur l’état du clos et du couvert, les canalisations, les équipements collectifs et les dispositifs de sécurité.
💡Bon à savoir : l’absence de notification de l’offre de vente conforme aux locataires ou la non-reproduction des dispositions légales contenues dans l’article 10-1, I, A, entraîne la nullité de la vente en bloc, sans que le locataire n’ait à démontrer l’existence d’un grief.
En revanche, l’absence de remise des documents annexes n’entraîne pas, à elle seule, la nullité de la procédure.
2. Délais de réponse des locataires et de réalisation
Le locataire dispose de quatre mois à compter de sa réception pour accepter l’offre de vente ( article 10-1, I, alinéa 4, de la loi n°75-1351 du 31 décembre 1975).
- En cas d’acceptation de l’offre par le locataire :
Lorsque le locataire accepte l’offre, il dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse, d’un délai de deux mois pour conclure la vente.
Ce délai est porté à quatre mois s’il indique expressément dans sa réponse son intention de recourir à un prêt, son acceptation devenant alors subordonnée à l’obtention du crédit.
Si la vente n’est pas régularisée dans les délais impartis, l’acceptation est réputée caduque de plein droit, sauf si le locataire démontre que le retard résulte d’un manquement du bailleur.
- En cas de refus :
Pendant le délai de quatre mois, le locataire peut refuser expressément l’offre ou demeurer silencieux, son silence valant alors refus implicite.
Dans tous les cas, il conserve la jouissance de son logement aux conditions du bail en cours.
3. Le nouveau droit de préemption
Du point de vue du notaire, il s’agit d’une nouvelle vente, et par conséquent d’un nouveau dossier. Le premier droit de préemption a été purgé lors de la vente initiale en bloc.
Un nouveau droit s’ouvre lorsque, à la suite de la vente d’un ou plusieurs logements à des locataires ou occupants de bonne foi, l’immeuble est mis en copropriété et que le propriétaire décide de céder les lots encore occupés à un prix ou à des conditions plus avantageuses.
Dans cette hypothèse, le notaire chargé de la vente doit notifier à chaque locataire une nouvelle offre de vente, reprenant les conditions actualisées et reproduisant les dispositions de l’article 10-1, I, A de la loi du 31 décembre 1975. L’absence de nouvelle notification rend la vente nulle de plein droit.
Cette offre complémentaire, valable un mois à compter de sa réception, ouvre au locataire les mêmes options que lors de la première procédure de préemption : accepter, refuser ou garder le silence, dans les délais légaux prévus.
Quelles sont les obligations du notaire dans la purge du droit de préemption ?
Dans la pratique notariale, la purge du droit de préemption ne se limite pas à une formalité préalable : elle engage la responsabilité du notaire.
Ce dernier doit s’assurer que les conditions légales ont été respectées, que les notifications ont été correctement effectuées et que la vente peut être régularisée en toute sécurité juridique.
1. Vérifications préalables
Avant toute rédaction d’acte, le notaire doit :
- vérifier si l’immeuble comporte plus de cinq logements ;
- déterminer la nature des baux (habitation principale, mixte, meublé) ;
- identifier les locataires en place et les adresses exactes pour notification ;
- s’assurer de l’absence d’engagement de prorogation de six ans ;
- vérifier l’absence d’exclusion légale (vente HLM, entre parents, DPU).
2. Purge et conservation des preuves
Les notifications et accusés de réception doivent être annexés à l’acte et conservés au dossier.
En cas de vente à un prix inférieur au prix initial notifié, une nouvelle purge est nécessaire avant signature.
L’omission ou la purge irrégulière expose la vente à la nullité absolue, opposable par tout locataire.
3. Mentions et clauses dans l’acte
L’acte notarié doit comporter :
- une clause de constat de purge, précisant la date d’envoi des notifications et les retours des AR ;
- le cas échéant, une attestation du vendeur certifiant que l’immeuble comprend moins de six logements ;
- ou, en cas de prorogation, une clause d’engagement de l’acquéreur, avec indication nominative des locataires.
Ces mentions permettent au notaire de garantir la régularité de la vente et de limiter sa responsabilité.
4. Dispositions fiscales
Sur le plan fiscal, l’exercice du droit de préemption par le locataire produit les mêmes effets qu’une vente classique : l’acte notarié donne lieu à la perception des droits d’enregistrement selon le régime applicable aux mutations à titre onéreux d’immeubles bâtis.
Toutefois, lorsque le locataire acquiert son logement à la suite de l’exercice du droit prévu par l’article 10-1, la transaction bénéficie, sous certaines conditions, d’une base taxable réduite correspondant uniquement à la valeur du lot concerné et non à celle de l’immeuble dans son ensemble.
Il appartient au notaire d’en assurer la ventilation exacte entre les lots, sur la base des éléments communiqués par le vendeur (état descriptif de division, règlement de copropriété, évaluation des surfaces, etc.).
En pratique, la régularisation de la vente donne lieu :
- à la perception des droits de mutation (article 683 du CGI) ;
- au versement de la contribution de sécurité immobilière ;
- et, le cas échéant, à l’application de la TVA immobilière lorsque le vendeur agit dans le cadre d’une activité professionnelle.
Enfin, le notaire doit veiller à la cohérence entre le prix notifié au locataire et le prix figurant dans l’acte authentique, toute discordance pouvant remettre en cause la validité de la purge et, par voie de conséquence, la sécurité fiscale et civile de la vente.
📌 En pratique pour le notaire : il est recommandé d’annexer à l’acte authentique une attestation de conformité fiscale, précisant la base d’imposition retenue et les éventuelles exonérations appliquées, afin d’éviter toute contestation lors de l’enregistrement.
5. Responsabilité du notaire
La jurisprudence (Cass. 3e civ., 3 juillet 2013, n° 12-19.442) considère que la méconnaissance du droit de préemption du locataire par le notaire constitue une faute professionnelle ouvrant droit à réparation.
Le notaire doit donc systématiquement documenter la purge et vérifier la cohérence des pièces avant signature.
Le droit de préemption du locataire en cas de vente en bloc met en lumière le rôle du notaire comme garant de la sécurité juridique et de l’équité entre les parties. Pour aller plus loin, consultez notre guide complet pour devenir notaire : vous y trouverez des conseils, des fiches pratiques et des exemples d’actes commentés.
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